Se souvenir du Farhūd (la violente dépossession en arabe)
Aujourd'hui premier Juin 2011 c'est le 70e anniversaire du Farhūd (Premier Juin 1941), l'équivalent irakien arabe de la violence populaire de la Nuit de Cristal en Allemagne Nazie (9 et 10 Novembre 1938) . Un lecteur nous a envoyé d'Israël cet essai par le professeur Robert Wistrich pour commémorer ce drame.
La Kristallnacht d'Irak : soixante-dix ans plus tard
par Robert S. Wistrich
Il y a Soixante-dix ans, le 1 Juin 1941, le pogrom arabe le plus dramatique et le plus violent du Moyen-Orient durant la Seconde Guerre mondiale a eu lieu dans la capitale irakienne, Bagdad. Connu en arabe sous le nom du Farhūd , ce pogrom dévastateur a laissé environ 150 Juifs morts, des centaines de blessés, et a conduit à la mise à sac de près de 600 entreprises juives. Les événements sombres du 1 et 2 Juin 1941 ont été l'équivalent arabe irakien de la violence populaire de la Nuit de Cristal , qui avait eu lieu environ deux ans et demi plus tôt dans l'Allemagne nazie. Les émeutes antisémites étaient principalement dirigées par des soldats irakiens (amers et frustrés par leur défaite face à l'armée britannique), de certains membres de la police et les jeunes des bandes paramilitaires, rapidement suivis par une population musulmane en colère qui s'est mise au saccage dans une orgie meurtière et des rapines.
Le pogrom a frappé la communauté juive la plus prospère, la mieux acceptée et la mieux intégrée du Moyen-Orient - dont l'origine remonte à plus de 2.500 ans - bien avant une quelconque présence arabe dans le pays.
Les 90.000 Juifs de Bagdad, il faut le dire, ont joué un rôle majeur dans la vie commerciale et professionnelle de la ville. Toutefois, dans les années 1930 ils se sont déjà trouvés face à une propagande anti-sémite et anti-sioniste de plus en plus virulente dans la presse irakienne et parmi les groupes politiques nationalistes. Cette agitation traitait les Juifs, qui étaient profondement des patriotes irakiens, comme une minorité etrangère hostile qui devait être éjectée de toutes les positions sociales, économiques et politiques qu'elle détenait dans l'Etat irakien.
Les nationalistes arabes d'Irak , comme leurs homologues en Syrie, au Liban, la Palestine et l'Egypte, avaient été fortement influencés dans les années 1930 par la montée de l'Allemagne nazie. Hitler et le national-socialisme les a seduits comme modèle autoritaire, pour réaliser l'unité nationale irakienne et une plus grande union des Arabes dans la région.
Ce n'est pas par hasard que l'idéologue pro-allemand du panarabisme, Sati al-Husri, a exercé une influence majeure sur l'éducation irakienne après son arrivée à Bagdad en 1921, ou que Michel Aflaq, le théoricien et chef des baasistes irakiens et syriens avait également absorbé les idées national socialistes allemandes tout en étudiant à Paris entre 1928-1932.
Le directeur général du ministère irakien de l'Education dans les années 1930, le Dr Sami Shawkat, a été un autre idéologue fanatique, particulièrement actif à instiller un esprit militaire (ressemblant au modèle allemand nazi) dans la jeunesse irakienne. Il a aussi développé radicalement des idées anti-juives qui doivent enormement à l'antisémitisme nazi. Dans un livre publié à Bagdad en 1939, "Ce sont nos objectifs" , Shawkat a appelé ouvertement à l'extermination des Juifs en Irak, comme une condition nécessaire pour parvenir à une renaissance nationale irakienne et à l'accomplissement de la "mission historique" du pays: d'unir la nation arabe.
Significativement, c'est à Bagdad que la première traduction officielle en arabe d'une partie du "Mein Kampf" de Hitler a été publiée en 1934. Afin de ne pas offenser les sensibilités arabes la traduction finale a "gommé" les théories raciales de Hitler à propos des races Sémites inférieures- rendant clair le fait que l'antisémitisme ne concernait que les Juifs, pas les Arabes.
Le traducteur irakien de " la grande oeuvre" de Hitler était Yunus al-Sabawi, un jeune nazi enthousiaste et anti-sémite extrémiste. Un proche confident d'officiers nationalistes de l'armée irakienne, Al-Sabawi est venu à jouer un rôle important dans la politique irakienne. D'avril à Juin 1941, il fut même ministre irakien de l'économie. Al-Sabawi était en effet l'un des architectes du Farhūd dans lequel son mouvement para militaire de jeunesses antisémites a également pris part. Al-Sabawi avait déjà établi un lien étroit avec l'ambassadeur de l'Allemagne nazie en Irak dans les années 1930, le Dr Fritz Grobba.
Ce dernier fut un éminent orientaliste (parlait couramment l'arabe, le persan et le turc) qui a fini par convaincre Hitler que l'aide des nationalistes arabes pour se débarrasser de la domination britannique en l'Irak devrait faire partie de la stratégie allemande. Grobba a également beaucoup contribué à travers les réseaux qu'il a mis en place en Irak, à la diffusion de l'idée que les Juifs irakiens étaient une «cinquième colonne» de la Grande-Bretagne - les ennemis jurés de l'Allemagne et de la nation arabe.
De même, les nationalistes palestiniens, dirigé par le Mufti de Jérusalem, Haj Amin al-Husseini (qui avaient fui à Bagdad dans les années 1930), ont mené une campagne vicieuse en particulier en incitant au djihad parmi la population arabe locale contre la Grande-Bretagne, le sionisme et les Juifs d'Irak. Le Mufti - un proche allié d'Hitler pendant les quatre années qu'il a passées à Berlin entre 1941 et 1945 - allait également exercer une influence particulièrement toxique sur le politicien pro-nazi Rashid Ali al-Kailani, dont le coup d'état anti Britannique reussi avait forcé l'impopulaire Regent hachémite Abd al-Ilah de fuir le pays.
Le coup d'état avait porté au pouvoir le 1 avril 1941 les plus enragés antisémites en Irak. La propagande anti-britannique et antisémite a atteint un zénith qui a grandement contribué à la violence qui a éclaté deux mois plus tard.
Ironiquement, ce fut la victoire de la Grande Bretagne et le retour du Régent le premier juin qui a immédiatement provoqué le pogrom, un acte de vengeance inégalé par les masses musulmanes contre les Juifs de Bagdad qui ont exprimé ainsi leur profonde déception face à la chute du régime populaire de Rashid Ali .
L'armée britannique, campée dans la banlieue de Bagdad, aurait pu facilement intervenir, mais elle a choisi de ne pas le faire, affirmant (de manière oiseuse) que cela aurait nui au prestige du Regent pro-britannique aux yeux de son propre peuple.
La Grande Bretagne s'est comporté d'une manière similaire à plusieurs reprises: dans la Palestine mandataire, en Libye (Novembre 1945) et à Aden (Décembre 1945) - restant passive pendant que des foules arabes ont tué des juifs sans défense.
En fait, pour la plupart des musulmans irakiens en 1941, les Britanniques ont été perçus comme des colonisateurs et des oppresseurs, les Juifs comme leurs «agents» et les nazis allemands comme des sauveurs «anti-impérialiste"! Mais l'aide militaire allemande, quand elle s'est enfin, c'était trop peu et trop tard pour sauver le régime de Rashid Ali.
Le Farhūd a été ignoré ou minimisé de manière incompréhensible à la fois dans l'historiographie sioniste, et encore plus dans les histoires générales du Moyen-Orient. Les historiens arabes ont gardé le silence, ou bien falsifié les faits et il ya même des écrivains juifs et israéliens qui ont essayé de minimiser son importance de manière peu convaincante . Pourtant, cet événement traumatique était d'importance capitale. Il a demontré au-delà de tout doute raisonnable la puissance de l'antisemitisme du nationalisme arabe et de l'incitation de style nazi sur une population musulmane qui en était venu à voir dans sa minorité juive patriotique "l'ennemi intérieur."
Les Juifs d'Irak, il ya soixante-dix ans, se sont tout à coup trouvés eux-mêmes dans le feu croisé de trois formes convergentes d'antisémitisme meurtrier- celui des des nazis allemands, celui des exilés palestiniens à Bagdad dirigé par Amin el-Husseini, et celui des nationalistes pan-arabes irakiens. Dix ans plus tard, le gouvernement de l'iraq du pro-britannique Noury Saïd, a exproprié, dépossédé, privé de leurs droits et a provoqué l'émigration forcée de près de 120.000 juifs irakiens, mettant ainsi cruellement fin à la plus ancienne de toutes les diaspora de l'histoire. Ce n'était pas seulement un crime contre l'humanité mais aussi une pertie insuffisamment reconnue de l'histoire de l'Holocauste.
Le Farhūd montre avec une clarté bouleversante quelle était véritablement la vulnérabilité des Juifs dans les pays arabes et quel sort les attendait sous un régime arabe décolonisé à l'avenir, surtout en cas de désordre.
Malgré le «printemps arabe» peu de choses ont changé pour les autres minorités au Moyen-Orient en 70 ans. Quant aux Juifs, du Maroc à l'Irak et l'Iran, ils subiront un «nettoyage ethnique» après 1945 par les dirigeants musulmans. Le Farhūd l'anonçait déjà pour ceux qui voulaient bien le voir. La consolidation d'un Israël fort était et reste la seule réponse viable à long terme viable pour empecher la répétition de telles atrocités à l'avenir.
Le professeur Robert S. Wistrich est le directeur du Centre International Vidal Sassoon pour l'étude de l'antisémitisme à l' Université hébraïque de Jérusalem et l'auteur de "Une obsession mortelle: l'antisémitisme de l'Antiquité au Jihad mondial "(Random House, Janvier 2010). Cet article est une version condensée d'une conférence récente sur le pogrom de 1941 à Bagdad au Centre de Jérusalem.
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