ROME, Dimanche 15 mai 2011 (ZENIT.org via poste de veille) - L'Arabie Saoudite est considérée terre sainte par la majorité musulmane qui l'habite. Les chrétiens, et même les musulmans appartenant à d'autres courants islamiques, se heurtent à de dures restrictions.
Les chrétiens ne représentent que 3% environ de la population, mais ils n'ont pas d'églises et n'affichent jamais leur foi en public. Camille Eid, professeur à l'Université de Milan, journaliste, auteur et expert des Eglises du Moyen-Orient, parle de la situation en Arabie Saoudite dans cette interview accordée à l'émission de télévision « Là où Dieu pleure »
Q : L'Arabie Saoudite est une monarchie absolue basée sur l'islam wahhabite. Qu'est-ce que cette branche de l'islam ?
Camille Eid : Le wahhabisme est une doctrine nouvelle de l'islam. Son fondateur, ibn Abdal -Wahhab, était un érudit religieux de l'islam hanafite, la doctrine la plus rigoriste de l'islam. Il décida d'expurger de l'islam toutes les innovations ou "bida" (terme en arabe). Par exemple, les visites au cimetière sont considérées comme des bida ou innovations, et donc interdites. On ne peut rien faire que le prophète Mahomet et ses disciples n'aient pas fait.
C'est ainsi que l'alliance conclue entre les partisans de Wahhab et le prince du Najd, la région centrale d'Arabie, donna naissance à l'actuel royaume arabe saoudien. L'Arabie Saoudite tire son nom de la famille des Saoud. Cette alliance entre la dynastie des Saoud et la secte wahhabite est encore en vigueur aujourd'hui, et les successeurs régnants suivent les instructions et la doctrine strictes du wahhabisme ; les lois du royaume sont conformes aux instructions rigoristes du wahhabisme.
Et en ce qui concerne les chiites ?
Les chiites, ou partisans, (nom dérivé de shiat Ali « le parti d'Ali »), qui représentent près de 10% de la population, se heurtent à une forte discrimination. Ils sont concentrés principalement dans la partie orientale du royaume. Il existe une autre secte chiite, les ismaélites (ou ismaïliens), concentrés près de la frontière avec le Yémen. Le royaume et ses chefs adhèrent au wahhabisme.
Le Coran est la constitution de l'Arabie Saoudite. Quelle est la position du Coran, ou de cette constitution, envers les non musulmans ?
Le Coran établit une distinction entre chrétiens et juifs, et autres infidèles. Les chrétiens et les juifs sont définis les "Gens du Livre", ou des Livres si l'on considère l'Evangile et la Torah. Parfois dans le Coran, les chrétiens sont décrits de façon très positive. Le monarque chrétien et les prêtres prient. Mais, dans la seconde période des révélations du prophète, les chrétiens sont définis comme des non croyants et [il est dit qu'ils] doivent payer la capitation ("Jizya"), la taxe requise pour bénéficier d'une protection dans une société islamique. Il y a donc, semble-t-il, une contradiction dans le livre même. C'est pourquoi nous avons un islam libéral et modéré, et un islam violent. L'islam violent s'appuie sur la seconde révélation, survenue au cours du dernier règne de Mahomet. Et donc les sociétés islamiques actuelles affirment que ce sont les indications de la seconde révélation qui doivent être observées, et non pas des précédentes, plus tolérantes.
Le gouvernement s'appuie sur les principes de la Charia. Qu'est-ce que la Charia ?
La Sharia ou charia est la compilation du Coran, des hadiths, qui sont les paroles ou actes de Mahomet, et d'autres sources comme l'idjma ou igma, qui est l'accord unanime, le consensus de tous les savants islamiques (oulémas). La charia, la loi islamique, puise à toutes ces sources.
Les résidents qui vivent en Arabie Saoudite sont-ils tous soumis à la loi de la charia ?
Tous les résidents sont soumis à cette loi et personne ne peut s'y opposer, car cela équivaudrait à s'opposer à l'islam. Dès votre arrivée à l'aéroport, vous êtes immédiatement informé que vous êtes tenu à une stricte observance des lois islamiques. Par exemple, moi en tant que chrétien, j'avais un Pepsi à la main durant le Ramadan. J'ai remarqué que tout le monde me regardait d'un drôle d'air et qu'ils auraient pu me battre. On ne peut pas manger à l'extérieur ou en public durant le jeûne. On peut manger seulement en privé. Ainsi doit-on observer le jeûne même si on n'est pas musulman, parce que c'est la loi.
Les chrétiens constituent le groupe non musulman le plus important en Arabie Saoudite. Comment les chrétiens vivent-ils leur foi dans ce pays ?
Secrètement. Il est interdit d'avoir des bibles, des images religieuses et des chapelets ; s'ils sont détectés à l'aéroport, ils sont immédiatement confisqués. Je me trouvais un jour à l'aéroport de Djeddah avec une vidéocassette et ils ont demandé à la visionner. La vidéo était un film sur Spartacus. Brusquement, j'ai eu peur qu'ils voient l'image de la crucifixion. Mais l'agent a fermé les yeux parce que c'était un soldat qui était crucifié, pas Jésus-Christ. ...C'est difficile.
Ils disent que les chrétiens peuvent prier en privé, mais que signifie en privé ? Cela signifie-t-il seul ou avec votre famille ? Quand deux personnes ou plus, ou un groupe de familles, prient ensemble, dans l'intimité de leur maison, la police religieuse peut faire irruption, intervenir et les arrêter.
Qu'arrive-t-il à un chrétien qui est surpris avec un chapelet dans sa poche ou portant une croix ?
Si c'est dans une poche, personne ne peut le voir. Si, toutefois, vous êtes vu portant une croix, n'importe quel musulman - et pas seulement la police - peut vous l'enlever. Vous serez arrêté et risquez l'expulsion du royaume. On vous mettra en prison et, au bout de quelques jours, un visa de sortie vous sera délivré. Ce sera fini pour vous.
Quelles autres activités chrétiennes sont punissables par la loi ?
Toute manifestation publique de foi autre que l'islam est punissable. Ils savent que les Américains, les Français et les Italiens célèbrent la messe de Noël et de Pâques à l'intérieur des ambassades, mais comme l'ambassade est zone extraterritoriale, la loi n'est pas applicable. Toutefois, la police n'est pas loin et veille. Il n'y a pas d'églises, de synagogues ou de temples dans le royaume. Toute manifestation de foi autre qu'islamique est interdite.
Qui veille sur l'application de la loi ?
Il y a 5 000 agents de police religieux répartis dans 100 districts, mais n'importe quel musulman peut dénoncer une personne et faire appliquer la loi. J'ai passé deux ans et demi à Djeddah ; j'avais peur de souhaiter Pâques et Noël même par téléphone, par crainte d'être écouté. La police religieuse contrôle tout, y compris les librairies, parce qu'il est interdit de vendre des cartes postales avec des sujets non musulmans. Il y a quelques années, dans l'école américaine, un homme déguisé en Père Noël a failli être arrêté, mais il a réussi à s'échapper par la fenêtre. C'est interdit.
Les chrétiens sont-ils particulièrement visés par la persécution ou la discrimination ?
Pas seulement les chrétiens, mais aussi toutes les versions non wahhabites de l'islam comme les chiites ou les ismaélites. Toutes les communautés chrétiennes ne pâtissent pas de façon égale. Les Américains, Italiens, Français et Britanniques - en fait la plupart des pays d'Europe et des pays industrialisés - sont moins visés car on sait que ces pays sont puissants et interviendront immédiatement pour protéger leurs citoyens. Ils ciblent donc les chrétiens du Tiers Monde comme l'Erythrée, l'Inde et les Philippines. Ces pays redoutent la perte de revenus de leurs ressortissants vivant dans le royaume. Aussi les chrétiens de ces pays du Tiers-Monde, plus pauvres, sont davantage pris pour cibles.
Les domestiques philippines, dit-on, ont été accusées de transmettre leur foi aux enfants des riches familles saoudiennes qui les emploient. En avez-vous entendu parler ?
Le catéchisme islamique parle du risque de communication de la foi. La version saoudienne stipule : « Quand vous allez à l'étranger, vous ne devez pas développer une relation ou amitié avec les professeurs, en vous souvenant que ce sont des infidèles ». Un critère qui s'applique aussi aux femmes philippines en Arabie Saoudite. Toute communication passe uniquement par le témoignage, pas par les paroles.
Uniquement par le témoignage ?
Uniquement à travers l'exemple, et c'est pourquoi il a été suggéré de remplacer les Philippines, ou les femmes chrétiennes en général, par des femmes égyptiennes, marocaines ou algériennes, de façon qu'elles ne puissent pas transmettre leur foi aux enfants.
Nous avons parlé de discrimination. Nous avons parlé de persécution. Jusqu'où peut aller cette persécution?
A la mort. Nous avons le cas du martyre d'une jeune fille qui s'est convertie au christianisme. Son frère l'avait découvert. Elle avait écrit un poème au Christ et on lui a coupé la langue. Elle a disparu et, plus tard, on l'a retrouvée morte. Son nom était Fatima Al-Mutairi et cela s'est passé en août 2008. En 2008, deux descentes de la police religieuse se sont soldées par l'arrestation d'hommes, de femmes et d'enfants de moins de 3 ans. De nombreux cas de torture sont rapportés ; avant d'être expulsés vers leur pays, ces Philippins, Indiens et Erythréens sont torturés par la police dans les prisons.
Vous avez cité le cas de Fatima qui s'est convertie au christianisme. Combien de musulmans se convertissent ? Avez-vous des informations, ou est-ce impossible de le savoir ?
C'est impossible. La société saoudienne est difficile à pénétrer car le régime contrôle toutes les activités. Parfois on le constate avec les femmes. Quand les femmes saoudiennes vont à l'étranger, à peine ont-elles mis le pied dans l'avion qu'elles enlèvent le hijab (voile). Au Liban et dans d'autres pays, elles boivent de l'alcool. De retour dans leur pays, elles savent qu'elles doivent se plier aux règles.
... et les convertis ?
Les chrétiens convertis existent. Je suis les nouvelles des chaînes arabes, qui émettent en Arabie Saoudite et dans l'ensemble du monde arabe, et durant les retransmissions, de nombreux appels proviennent d'Arabie Saoudite. Ces convertis qui voyagent au Maroc et en Egypte parlent de leur expérience, mais sans mentionner leurs noms. Ils se contentent de demander à la communauté chrétienne de prier pour eux en attendant de voir le jour où ils seront autorisés à aller à l'église, où ils pourront avoir accès aux Evangiles et partager leur nouvelle foi avec leur propre famille. Si un converti informe son frère ou son père de sa nouvelle foi, il risque d'être accusé de trahison envers la famille ; une trahison pas seulement envers la famille, mais aussi envers la nation et la société en général. L'apostasie est une question d'honneur et, comme telle, considérée comme une trahison.
Le père Samir Khalil Samir, un islamologue égyptien, a affirmé que dans le Coran, il n'existe pas l'obligation de tuer un apostat. D'où provient donc cette forme de violence ?
Dans le livre 14 du Coran, c'est vrai, il est question d'apostasie, mais nullement d'une sanction dans cette vie, plutôt dans la seconde vie. Ce changement provient des hadiths de Mahomet dans lesquels il est dit « celui qui change de religion, tuez-le ». Mais alors un autre problème se pose car, compte tenu des milliers de hadiths, il n'existe aucune preuve que Mahomet ait réellement dit ceci. De nombreux pays islamiques comme le Pakistan, l'Afghanistan sous les talibans, l'Iran et le Yémen, et autres, appliquent la peine de mort sur la base d'un hadith dont on n'est pas sûr à cent pour cent qu'il soit de Mahomet.
Pouvez-vous nous dire un mot sur les catholiques laïcs qui vivent en Arabie Saoudite ?
Il est dur d'être laïc catholique en Arabie Saoudite, car il faut avoir une foi profondément enracinée. Vous ne pouvez pas avoir d'exemplaires de l'Evangile chez vous. Vous ne pouvez pas avoir un chapelet. Vous ne pouvez avoir de contacts avec des amis chrétiens comme communauté ; vous pouvez avoir des amis chrétiens, fréquenter les communautés étrangères, mais il est interdit de parler de sa foi. La seule possibilité est d'avoir une forte conscience et connaissance de votre foi sur lesquelles compter dans ce contexte.
Dans d'autres pays islamiques, le vendredi est jour férié, aussi la messe communautaire est autorisée, mais pas le dimanche parce que le dimanche est un jour ouvrable ; mais ce n'est même pas le cas en Arabie Saoudite. Ainsi vous formez une communauté tout seul. Généralement, vous n'avez même pas votre propre famille, parce qu'en Arabie Saoudite il y a des restrictions au regroupement familial. Si vous avez une fille âgée de plus de 18 ans, elle ne peut pas rester en Arabie Saoudite si elle n'est pas mariée. Aussi la plupart ont leur famille ailleurs. Vous êtes donc seul, sans contact avec d'autres catholiques, ce qui est très dur ; par conséquent, vous devez avoir une foi intérieure forte ; être capable de prier sans livres de prières, prier seulement les prières apprises par cœur dans l'enfance.
Propos recueillis par Mark Riedermann pour l'émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l'association Aide à l'Eglise en Détresse (AED).
Source : Zenit, 15 mai 2011
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