"Nous allons rejoindre le concert des condamnations, venant de musulmans et de chrétiens, du gouvernement et de l´opposition, de l´Eglise et de la Mosquée, des religieux et des laïcs. Nous allons tous nous lever comme un seul homme et affirmer notre dénonciation sans équivoque d´Al-Qaïda, des activistes islamistes et des intégristes musulmans de toutes nuances, teintes et couleurs ; certains d´entre nous iront encore plus loin et dénonceront l´islam salafiste, l´intégrisme islamique dans son ensemble, et l´islam wahhabite qui, paraît-il, est une importation d´Arabie saoudite totalement étrangère à notre culture nationale égyptienne.
Et une fois de plus, nous allons déclarer l´unité éternelle des "éléments jumeaux de la nation", nous rappeler la Révolution de 1919, avec sa bannière hissée où le croissant embrasse la croix, symbole de notre lien indissoluble.
Cette [démonstration] sera essentiellement hypocrite ; une grande partie en sera nuancée afin d´épargner, juste en dessous de la surface, les innombrables préjugés et l´étroitesse d´esprit, un traitement différentié évident et, en fait, le sectarisme qui tient sous son emprise un si grand nombre de personnes participant à ces condamnations.
Tout cela sera vain. Nous sommes déjà passés par là. Par là très exactement. Et les massacres continuent, de plus en plus horribles, tandis que le sectarisme et l´intolérance s´enracinent et se propagent dans tous les coins et recoins de notre société. Il n´est pas facile de vider l´Egypte de ses chrétiens ; ils sont ici depuis aussi longtemps que le christianisme dans le monde. Près d´un millénaire, dont la moitié de domination musulmane, n´ont pas eu raison de la communauté chrétienne de la nation, mais l´ont maintenue suffisamment stable et vigoureuse pour jouer un rôle crucial dans le façonnement de l´identité nationale, politique et culturelle de l´Egypte moderne."
"Pourtant, aujourd´hui, deux siècles après la naissance de l´Etat-nation égyptien moderne, et alors que nous entrons dans la deuxième décennie du 21ème siècle, ce qui paraissait impossible n´est plus inimaginable : une Egypte sans chrétiens, où la croix aura glissé hors de l´étreinte du croissant et du drapeau symbolisant notre identité nationale moderne. J´espère que si ou quand ce jour viendra, je serai mort depuis longtemps, mais que je sois mort ou vivant, ce sera une Egypte que je ne reconnaîtrai pas et à laquelle je n´ai pas envie d´appartenir.
Je ne suis pas Zola, mais moi aussi je peux accuser. Et ce ne sont pas les criminels sanguinaires d´Al-Qaïda ou tout autre gang de truands impliqués dans l´horreur d´Alexandrie qui m´inquiètent.
J´accuse un gouvernement qui semble croire qu´en offrant trop aux islamistes, il saura les circonvenir.
J´accuse l´hôte des députés et des représentants du gouvernement qui ne peuvent s´empêcher d´importer leur propre sectarisme au parlement ou dans les innombrables institutions gouvernementales nationales et locales, d´où ils exercent une autorité brutale sans avoir de comptes à rendre, une autorité désespérément inepte.
J´accuse les institutions étatiques qui croient qu´en renforçant la tendance salafiste, elles affaibliront les Frères musulmans, et qui aiment par moments flirter avec le sentiment communautaire anti-copte, sans doute pour se distraire de problèmes gouvernementaux plus sérieux.
Mais par-dessus tout, j´accuse les millions de prétendus musulmans modérés parmi nous, ceux dont les préjugés n´ont fait que se renforcer, qui n´ont fait que se refermer sur eux-mêmes et devenir un peu plus étroits d´esprit avec les ans.
J´accuse ceux d´entre nous qui se sont furieusement dressés contre la décision d´arrêter la construction d´un centre musulman près de Ground Zero à New York, mais qui applaudissent quand la police égyptienne interrompt la construction d´un escalier dans une église copte du quartier Omranya du Grand Caire.
J´ai été parmi vous, et je vous ai entendus parler, dans vos bureaux, dans vos clubs, à vos soirées : "Il faut donner une leçon aux coptes" ; "les coptes sont de plus en plus arrogants", "les coptes convertissent en cachette les musulmans" et dans le même souffle : "les coptes empêchent les chrétiennes de se convertir à l´islam, les enlèvent et les enferment dans des monastères".
Je vous accuse tous, parce que, dans votre aveuglement fanatique, vous ne vous rendez même pas compte que vous maltraitez la logique et le simple bon sens ; vous accusez le monde entier de parti pris contre vous tout en vous montrant complètement incapables de constater votre propre parti pris, [pourtant] flagrant.
Et finalement, j´accuse les intellectuels libéraux, aussi bien musulmans que chrétiens, qu´ils soient complices, apeurés, ou tout simplement peu désireux de faire ou dire quoi que ce soit qui déplaise aux "masses", d´être restés bras croisés, jugeant suffisant de se joindre à un futile concert de dénonciations... alors même que les massacres s´étendaient et gagnaient en horreur.
Il y a quelques années, j´ai écrit dans le quotidien arabe Al-Hayat, pour répondre à [l´article d´un] chroniqueur paru dans l´un des journaux égyptiens. Le chroniqueur, dont j´ai depuis oublié le nom, louait le patriotisme d´un copte égyptien qui avait écrit qu´il préférerait se faire tuer par ses frères musulmans que de recourir à une intervention américaine pour le sauver.
M´adressant à ce copte patriotique, je lui ai posé une question simple : où prend fin sa volonté de se sacrifier pour la nation ? Donner sa vie peut être tout à fait noble, même louable, mais serait-il également disposé à renoncer à la vie de ses enfants, de son épouse et de sa mère ? Combien de chrétiens d´Egypte, lui ai-je demandé, êtes-vous prêt à sacrifier avant de solliciter une intervention extérieure ? Un million, deux, trois, tous ?
Les possibilités qui s´offrent à nous, ai-je alors et continuerai-je à dire, ne sont pas [peu nombreuses] au point que nous dussions choisir entre laisser les coptes égyptiens se faire tuer, individuellement ou en masse, et courir solliciter l´Oncle Sam. Est-il vraiment si difficile pour nous de nous concevoir comme des êtres humains rationnels dotés d´un minimum d´assurance, et de décider nous-mêmes de notre destin, du destin de notre nation ?
C´est, en effet, la seule solution qui nous reste, et nous ferions mieux de la saisir, avant qu´il ne soit trop tard."
[1] English.ahram.org, 1er janvier 2011. To read the complete english version : http://www.jerusalem-religions.net/...
Source/ Traduction : MEMRI Middle East Media Research Institute, Dépêche spéciale n° 3483, 5/1/2011.
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