Extraits de l'analyse Par Stéphane Juffa dans MENAPRESS:
Les Tunisiens auront eu à la fois leur prise de la Bastille et leur fuite du roi à Varennes, qui plus est, sans avoir à attendre deux ans entre les deux événements.
On se dit ensuite, en voyant les autres satrapes du monde arabe trembler comme des feuilles soumises au Sirocco, que la Tunisie est en train de constituer un extraordinaire laboratoire d’essai, dont nous pourrons apprécier les développements pour saisir dans quelle direction se dirige le monde arabo-musulman.
Des putschs, dans ce monde-là, on en avait vu par dizaines, mais un renversement de régime par la rue, lors d’un élan ayant toutes les apparences de la spontanéité, c’est une grande première.
Encore faut-il éviter le lynchage de Ben Ali sans procès : dans le monde arabo-musulman, il faisait sans aucun doute partie des plus humains parmi les "présidents" autoritaires. A Carthage, à Sfax et à Monastir, on ne coupait pas les mains des petits voleurs comme en Perse, on ne condamnait pas à mort les apostats de l’islam comme au Caire, et on ne tranchait pas la tête des homosexuels au sabre comme à Riad.
Dans ces conditions, les donneurs de leçons de la politique française, qui affirment aujourd’hui que Paris n’a pas été assez ferme à l’égard du régime tunisien déchu me font sourire : si c’est la liberté des peuples qui les motive, il leur faut d’urgence prôner la rupture des relations diplomatiques avec le Ben Ali jordanien, le Ben Ali algérien, le Ben Ali couronné marocain, les Ben Ali en bien pire égyptiens, saoudiens et pakistanais, et, bien entendu, les Ben Ali constamment ensanglantés de Syrie et d’Iran. Et la liste des Ben Ali n’est pas exhaustive, je pourrais passer la matinée à les citer et à énumérer leurs exactions.
Dans ces pays-là, cher lecteur, la stabilité politique n’est qu’un leurre, un trompe l’œil ; un monde peut changer en quelques semaines, comme on vient de le constater.
Des expériences menées au laboratoire d’essai tunisien, nous allons enfin savoir si Hosni Moubarak et d’autres Ben Ali à son instar, ont raison de menacer l’Occident de prises de pouvoir par les islamistes au cas où ils démocratiseraient leurs pays. En effet, on a déjà vu des mouvements islamistes renverser des Ben Ali, mais jamais des islamistes destituer des citoyens ayant renversé des Ben Ali.
Alors ? La rue arabe, lorsqu’elle se donne les moyens de s’exprimer, choisira-t-elle l’islamisme ou le modèle européen ? Moubarak nous rend-il service, comme il le prétend, dans son rôle de "grand gendarme" contre les Frères Musulmans, ou se rend-il service, en instrumentalisant la menace qu’ils représentent ? On est poussé à croire le raïs, mais, objectivement, on n’en sait rien.
Tout laisse à penser que les ministres, cadets redevables de l’autocrate, désirent débénaliser le régime et se débénaliser afin de rester aux commandes. Le parti bénaliste se présentera-t-il aux prochaines élections sans Ben Ali, ce serait cocasse. Quelle part des suffrages y obtiendrait-il ? Cela aiguise la curiosité.
Et, bien sûr, le risque demeure que les ministres s’accrochent au pouvoir par la force, et que la population, dans quelques mois, s’aperçoive qu’elle n’a réussi qu’à se débarrasser du dictateur numéro 1, mais qu’elle n’a pas, pour autant, gagné le droit à la démocratie.
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