Le Figaro
En Libye, les insurgés ont perdu mardi une ville stratégique. La route de Benghazi et de Tobrouk est ouverte aux loyalistes.
Ajdabiya est tombée en 45 minutes. Les insurgés libyens qui défendaient la ville avaient pourtant un peu mieux préparé leur affaire que lors de leurs précédents accrochages avec les forces de Kadhafi. Depuis le milieu de la semaine dernière, les loyalistes ont progressé presque sans coup férir le long de la route côtière, balayant devant eux les révolutionnaires à coup de bombardements aériens et de barrages d'artillerie.
L'insurrection ne pouvait pas se permettre de perdre le contrôle d'Ajdabiya, nœud routier qui commande l'accès à Benghazi et la Cyrénaïque, mais aussi les routes qui filent vers Tobrouk en direction de la frontière égyptienne, et vers Koufra, dans les étendues désertiques du Fezzan. La ligne de défense avait été établie à la sortie sud de la ville. Les canons antiaériens montés à l'arrière des pick-up étaient dispersés au lieu d'être massés en grappes sur les carrefours, des remblais de terre avaient été aménagés, et quelques batteries de lance-roquettes multiples déployés dans le désert de part et d'autre de la route. Ajdabiya avait toutes les raisons d'être défendue.
La fin du printemps arabe ?
La bataille a commencé avec l'explosion de quelques bombes, larguées en début de matinée par les avions de Kadhafi. Un appareil à hélice tournoie dans le ciel blanchi par le vent de sable. Puis l'artillerie entre en action en fin de matinée. Par salves de trois, conformément aux manuels, les obus commencent à pilonner les positions des insurgés, soulevant de gros panaches de fumée grise. Les explosions résonnent comme si quelqu'un frappait à la masse contre la porte d'un garage géant. La double arche métallique du check-point d'entrée, le dépôt de munitions au sud de la route, le carrefour circulaire de l'entrée de la ville sont pris pour cible. Les insurgés ripostent d'abord à coups de lance-roquettes, qui partent en sifflant dans le ciel. Le duel dure une petite demi-heure, jusqu'à ce qu'un tir de contre-batterie des forces loyalistes mette fin à cet échange.
Tout s'enchaîne ensuite très vite. Vers 14 heures, les tirs d'artillerie se rapprochent et plus personne ne leur répond. Dans un mouvement d'abord relativement ordonné, les pick-up camouflés avec de la boue des insurgés se replient sur le carrefour suivant. Puis de façon un peu plus chaotique vers les premières maisons de la ville. Les haut-parleurs des mosquées hurlent des Allah Akbar.
Dans les rues, des insurgés munis de lance-roquettes se groupent devant les maisons, l'air inquiet. Certains murmurent des prières. Des habitants chargent à la hâte des minibus avec leurs bagages, les femmes et les enfants à l'arrière, et partent en trombe. Et puis, soudain, des tirs d'armes automatiques prennent en enfilade les rues, les balles vrombissent, et c'est la panique. Dans une débandade totale, roulant à fond de train dans les rues d'Ajdabiya, les insurgés prennent la fuite, manquant de s'emboutir les uns les autres. Au centre-ville, les fuyards font de grands signes aux autres combattants encore en position derrière leurs mitrailleuses sur les ronds-points. «Ils arrivent! Ils arrivent!»
La route de Benghazi est ouverte
Des obus explosent dans les rues, accroissant la panique. Un flot de voitures s'enfuit vers la route du nord et de Benghazi. Pick-up chargés de combattants, civils entassés à l'arrière des breaks, vieilles Peugeot tractées par d'autres voitures. Il est 14 h 45. La bataille d'Ajdabiya est terminée. À la sortie nord de la ville, des combattants sont garés dans les dunes. Le vent de sable souffle en rafales, et la chaussée est par endroits presque recouverte. «Ne restez pas ici, les gens de Kadhafi sont en train d'encercler la ville! La route va être coupée!»
Vers 16 h 30, c'est chose faite, et des pick-up aux drapeaux verts sont vus par les derniers journalistes à quitter la ville. La route de Benghazi, la capitale de la révolution, est ouverte. Aucune ligne de défense à l'entrée de la ville. 160 kilomètres d'autoroutes à travers le désert séparaient encore les forces de Kadhafi de Benghazi. Avec la possibilité pour les loyalistes de rééditer le coup de Rommel lorsqu'il s'empare d'Ajdabiya en avril 1941, foncer vers Tobrouk, et couper ainsi la Cyrénaïque. Quel que soit à présent l'enchaînement des événements, les perspectives du mouvement révolutionnaire libyen apparaissent comme désespérées. Benghazi était mardi soir une ville ouverte. Le printemps arabe s'est peut-être achevé mardi à Ajdabiya.
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