De Tripoli à Tunis, en passant par Le Caire ou Damas, cet émirat du Golfe à peine plus grand que la Corse est intervenu sur tous les fronts. Dans quel but ? La question hante les chancelleries. Étrange de voir cette monarchie absolue œuvrer au triomphe de la démocratie. Plus intrigant encore : par qui veut-elle remplacer les tyrans d'hier ?
Derrière cet activisme tous azimuts, il y a un homme : l'émir Al-Thani, arrivé sur le trône en 1995 après avoir déposé son père. Un jeune souverain obnubilé par l'invasion irakienne du Koweït, cinq ans plus tôt, et convaincu de la nécessité de faire exister son pays sous peine de disparaître.
Afin de mettre son royaume à l'abri, l'émir cherche à s'attirer les bonnes grâces de tout le monde au prix de multiples contorsions : les Américains d'abord, auxquels il offre la plus grande base aérienne hors des États-Unis. Israël ensuite, avec qui il noue, cas unique dans le Golfe, un début de lien diplomatique. Les islamistes, enfin, des plus modérés aux plus radicaux, qu'il finance et accueille dans ses palaces. Tous les tenants d'un islam politique, du leader du Hamas, Khaled Mechaal, au chef du parti tunisien Ennahda, Rached Ghannouchi, ont été un jour ses invités.
"Ici je peux défendre ma cause sans contrainte", dit Abassi Madani, le fondateur du FIS algérien réfugié à Doha depuis sa sortie de prison en 2003, souvent reçu au palais. "Le Qatar m'assure une liberté d'action et une large couverture médiatique internationale."
Cette presqu'île sableuse est devenue une formidable tribune. Pour rayonner, rien ne vaut une chaîne d'information mondiale. Au cœur du dispositif de promotion de la marque Qatar se trouve un vaste complexe protégé comme une caserne. Seule ou presque dans le monde arabe, Al-Jazeera, la télévision créée par l'émir dès la première année de son règne, ouvre son antenne aux opposants de tout poil et autorise les débats les plus vifs. Une liberté de ton qui encourage l'esprit critique de toute une jeunesse et exaspère les autocrates.
Al-Jazeera prend le parti de la contestation. Dans l'enthousiasme du moment, ses journalistes gonflent outrageusement le nombre des manifestants. Son prédicateur vedette, l’Égyptien Youssef al-Qaradawi, exilé à Doha depuis un demi-siècle et qui anime la très populaire émission "la Charia et la Vie", incite même les foules à renverser le "pharaon".
Al-Jazeera lui sert d'outil pour ménager Al-Qaida.
La chaîne se défend d'être au service du palais, son unique propriétaire. "Nous ne sommes pas le bras armé de la diplomatie qatarie", assure Mustapha Souag, le nouveau directeur d'Al-Jazeera. "On ne se coordonne pas, on ne reçoit aucune instruction, mais il est vrai que notre couverture coïncide souvent avec l'action extérieure du Qatar". Pourtant, comme le révèle un télégramme américain publié par WikiLeaks, l'émir ne se cache pas en petit comité d'utiliser sa télévision à des fins politiques. En janvier 2010, devant ses pairs du Golfe, il reconnaît qu'Al-Jazeera lui sert d'outil pour ménager Al-Qaida. Comment ? La chaîne relaie les communiqués du groupe terroriste. [...]
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