Voici l'excellent article de Liliane Charrier sur TV 5 Monde sur le ras-le bol anti Erdogan qui s'exprime en Turquie.
Tout a commencé avec la grogne soulevée, à Istanbul, par un projet d’aménagement urbain sacrifiant un parc en plein centre-ville. Lundi dernier, 27 mai, l’apparition des premiers bulldozers annonçait les premiers incidents entre manifestants et la police. En quelques jours, la grogne s'est étendue à toute la Turquie. Pour Mine Kirikkanat, journaliste et écrivaine turque établie à Istanbul, elle exprime un ras-le-bol qui ne date pas d’hier.
Tout a commencé avec la grogne soulevée, à Istanbul, par un projet d’aménagement urbain sacrifiant un parc en plein centre-ville. Lundi dernier, 27 mai, l’apparition des premiers bulldozers annonçait les premiers incidents entre manifestants et la police. En quelques jours, la grogne s'est étendue à toute la Turquie. Pour Mine Kirikkanat, journaliste et écrivaine turque établie à Istanbul, elle exprime un ras-le-bol qui ne date pas d’hier.
01.06.2013Liliane CharrierDans la touffeur de la nuit, des milliers de Stambouliotes, à leurs fenêtres ouvertes, les yeux brûlants des relents de gaz lacrymogènes, tapent sur des casseroles en signe de protestation. "C’est ainsi que le peuple exprimait son désaccord à l’époque ottomane, explique Mine Kirikkanat. Quand il ne voulait plus du sultan, il tapait sur des casseroles." Et puis au petit matin, en ce samedi 1er juin 2013, des milliers de Turcs se sont mis à marcher sur le Parlement à Ankara. "Le feu révolutionnaire est allumé," témoigne la journaliste turque établie à Istanbul.
Istanbul, certes, n’est pas la Turquie, mais la métropole sur le Bosphore a ceci de particulier que sa population reflète parfaitement celle de l’ensemble du pays : on y trouve la même proportion de Kurdes, de nationalistes, de laïcs, d’alévis, etc. Une représentativité à 100 %, que corroborent les résultats des élections et qu'illustre aussi la protestation qui enfle aujourd’hui aux quatre coins du pays. A Izmir, à Ankara, à Antalya et dans toutes les grandes villes du pays, les protestataires se rassemblent et affrontent la police. Mais c’est place Taksim, à Istanbul, à deux pas du Gezi Parki, que la grogne acquiert toute sa dimension historique.
Istanbul, certes, n’est pas la Turquie, mais la métropole sur le Bosphore a ceci de particulier que sa population reflète parfaitement celle de l’ensemble du pays : on y trouve la même proportion de Kurdes, de nationalistes, de laïcs, d’alévis, etc. Une représentativité à 100 %, que corroborent les résultats des élections et qu'illustre aussi la protestation qui enfle aujourd’hui aux quatre coins du pays. A Izmir, à Ankara, à Antalya et dans toutes les grandes villes du pays, les protestataires se rassemblent et affrontent la police. Mais c’est place Taksim, à Istanbul, à deux pas du Gezi Parki, que la grogne acquiert toute sa dimension historique.
La place Taksim : symbole de la résistance
Vaste espace pollué et sans charme aux allures d’esplanade soviétique, la place Taksim, au coeur de l'Istanbul européenne, grouille de vie jour et nuit. Plusieurs grandes artères conduisant aux grands quartiers de la métropole convergent vers cette plaque tournante des transports en commun. Au-delà de sa fonction essentielle dans le tissu urbain, la place Taksim a une valeur hautement symbolique dans l’histoire sociale, syndicale et politique en Turquie. "Il y a du sang sur cette place, le sang des gauchistes, des jeunes, des résistants à toutes sortes de despotismes, aussi bien militaire que civil, raconte avec émotion Mine Kirikkanat. Et Erdogan sait parfaitement ce que représente ce lieu pour tous les Turcs, et pas seulement pour les Stambouliotes." Pourtant, les autorités persistent à vouloir bétonner ses derniers îlots de verdure. "Voici un an que les habitants du quartier se mobilisent pour sauver les quelques arbres qui donnent de l’ombre à ceux qui n’en peuvent plus du béton," explique la journaliste, qui réside non loin de la place Taksim. "Peu à peu, le petit jardin public est devenu le symbole de la résistance à Erdogan."
Une révolution pour un jardin public ?
En Turquie, comme ailleurs, les révoltes populaires partent rarement d’une revendication politique, mais plutôt d’une accumulation de frustrations au quotidien. Un jour, un match de foot qui dégénère, un concert annulé, une restriction de trop… et voilà qu'explose l’indignation qui couve.
Depuis plus de dix ans qu’il est à la tête du gouvernement, Recep Erdogan mène une politique autoritaire résolument islamo-conservatrice, qui pèse à une partie de la population. "Il se mêle de tout, s’indigne Mine Kirikkanat. Il se mêle de la gestion des villes, il se mêle de la longueur des jupes des femmes. Il se mêle de nos vagins, comme disent les féministes… Chaque jour, le gouvernement interdit quelque chose. C’est Erdogan, qu'on appelle le ‘sultan’, qui a fait pression sur la municipalité, où son parti est majoritaire, pour qu'elle adopte le plan d'aménagement urbain qui signe l'arrêt de mort du Gezi Parki."
La goutte d'eau qui fait déborder le vase
Au début de la semaine, la limitation de la consommation d’alcool a été la goutte qui a fait déborder le vase. Dorénavant, à partir de 22h00, les commerces ne peuvent plus vendre d’alcool ; il est désormais interdit de boire dans la rue – les terrasses ont disparu du quartier animé de Beyoglu, à Istanbul - ou d’exposer des bouteilles dans les vitrines des magasins d’alcool de tout le pays. Le Premier ministre Erdogan affirme publiquement que l’alcool est contraire au Coran et suggère avec ironie de remplacer la bière par de l’ayran (lait caillé).
Or la moitié de la Turquie est laïque et républicaine. Aujourd’hui, on essaie de la priver de libertés qui constituent son mode de vie depuis près d’un siècle. Ces Turcs-là, ainsi que de nombreux musulmans modérés, n’attendent qu’un signal, depuis plusieurs mois déjà, pour laisser libre cours à leur colère. Et pourtant, fidèle à son inflexibilité, Recep Erdogan ne recule devant aucune protestation. Ce 1er juin, il a encore réaffirmé sa fermeté face aux protestataires.
"Ils ont touché à la douceur de vivre"
Peut-on d’ores et déjà parler d’un "printemps turc", à l’image des "printemps arabes" ? "Pour l’instant, les revendications restent innocentes, essentiellement humaines. Les épiciers veulent à nouveau pouvoir vendre de l’alcool pour gagner leur vie, les gens veulent à nouveau profiter d’une terrasse à Beyoglu… Ils veulent retrouver la douceur de vivre," témoigne Mine Kirikkanat depuis Istanbul. Et si les slogans, peu à peu, se politisent, les manifestants ne sont pas armés. Ils sont jeunes et beaux, et ils entraînent la population dans leur sillage. Ils sont en colère, mais demeurent très pacifiques. Reste que, en Turquie, 17 millions de civils sont armés, et que tout peut basculer dans la violence d’une minute à l’autre.
Pourtant la contestation en Turquie se distingue des révoltes arabes sur un point essentiel : "Les Arabes réclamaient des libertés qu’ils n’ont jamais eues. Les Turcs réclament des libertés qu’ils avaient, mais qu’ils ont perdues. C’est plutôt une contre-révolution qui se prépare," conclut Mine Kirikkanat.
Brutalité policière à Istanbul |
http://www.vgtv.no/#!/video/65063/tyrkisk-demonstrant-p%C3%A5kj%C3%B8rt-av-politiet-man-run-over-by-turkish-police
la même scène vue de plus loin et de profil
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire