L'Orient le Jour
Au moins un quart de la population libanaise serait analphabète, mais dans certains villages du Akkar, cette réalité toucherait jusqu’à 78 % de la population. Montré du doigt, l’enseignement public qui pousse l’élève au décrochage scolaire. Mais également les mentalités rétrogrades qui ont la vie dure, dans certaines régions reculées du pays.
« Au moins un quart de la population libanaise est analphabète », assure le père Albert Abi Azar, représentant Alpha, l'Association humaine pour la promotion humaine et l'alphabétisation.
De son côté, une source informée qui tient à garder l'anonymat estime que les chiffres moyens oscillent entre 30 et 40 %, mais atteignent 60 % dans certaines régions du pays. Cette même source affirme que dans un village du Akkar, prénommé Denbo, 78 % de la population est analphabète.
Une étude indiquait pourtant, en 2007, que le taux d'analphabétisme était en moyenne de 10 % et qu'il atteignait 40 % au Akkar.
Mais ces chiffres ont visiblement ignoré des aspects majeurs du problème, notamment l'illettrisme qui caractérise nombre d'élèves du secteur public, ainsi que le décrochage scolaire qui touche plus du quart des élèves avant la classe de troisième, selon le Conseil supérieur pour l'enfance. Cette enquête s'est de plus basée sur la bonne foi des populations, dont un grand nombre rechigne à avouer qu'il ne sait ni lire ni écrire.
Analphabétisme et illettrisme
La responsable du programme d'alphabétisation auprès de l'Unicef, Abeer Abou Zaki, fait remarquer qu'en l'absence du moindre programme national de lutte contre l'analphabétisme depuis de nombreuses années, le problème ne peut que s'aggraver. Une étude menée conjointement par l'Unicef et l'Administration centrale de la statistique devrait donner des informations plus précises sur la question, dès 2011.
Pour espérer obtenir des statistiques fiables, il est d'abord indispensable de définir l'analphabétisme. Officiellement, un analphabète est une personne qui n'a jamais fréquenté l'école, alors qu'un illettré ne sait toujours pas lire ou écrire, après avoir quitté l'école. « Mais au Liban, la définition n'est pas claire et il est important de redéfinir le concept », note Antoine Zakhia, chef de cabinet et conseiller légal du ministre des Affaires sociales. Il estime que toute personne incapable de comprendre un texte, même si elle parvient à le lire, est actuellement considérée comme analphabète. « Auparavant, seules les personnes incapables de lire et d'écrire étaient ainsi qualifiées », indique-t-il.
L'enseignement public montré du doigt
Mais pourquoi y a-t-il donc tant d'analphabètes ou d'illettrés au Liban ? Le père Abi Azar note que la situation s'aggrave de jour en jour à l'échelle nationale, ou stagne au mieux, vu l'absence de réformes de l'école publique. « Le niveau de l'école publique est nul, déplore-t-il. Les enseignants sont mal payés et ne se soucient guère de l'éducation des élèves ». « À 12 ans, nombre d'adolescents quittent alors l'école sans avoir jamais appris à lire ni à écrire », constate-t-il, affirmant que le système éducatif libanais produit des analphabètes. Albert Abi Azar observe que pauvreté et analphabétisme vont de pair, car même l'école publique est coûteuse pour les familles pauvres. « Le problème n'est pas une priorité pour l'État qui ne réussit pas à imposer l'enseignement obligatoire. » Le formateur ajoute qu'au Liban, les gens ont très peu besoin de la lecture et de l'écriture dans leur vie quotidienne et encore moins pour trouver du travail. « Ils sont peu motivés, d'autant que le chômage est élevé et qu'une licence ne sert à rien. »
« Le problème réside également dans le passage automatique de classe qui a longtemps été adopté à l'école publique primaire », observe encore Abeer Abou Zaki. « À la fin de la huitième, le taux de décrochage scolaire est très élevé, explique-t-elle, car les élèves ont accumulé les lacunes et sont incapables d'aller plus loin. Au bout de quelques années, ils oublient complètement les quelques notions assimilées et ne savent même plus lire ni écrire. »
À ces réalités s'ajoute le problème des mentalités rétrogrades qui sévit dans les régions éloignées, notamment au Akkar. « Dans cette région agricole où les familles sont encore très nombreuses, l'enfant est considéré comme une source de revenu et une main-d'œuvre potentielle », explique le père Ayoub Nehmé, qui travaille auprès des populations défavorisées au Akkar.
Si la majorité des jeunes enfants est aujourd'hui scolarisée, l'absentéisme est fréquent et l'éducation des garçons passe avant celle des filles. « Dans ces sociétés conservatrices, les filles sont souvent confinées à la maison et ne sont pas autorisées à travailler lorsqu'elles atteignent l'âge adulte », ajoute-t-il. « Résultat, les femmes analphabètes sont plus nombreuses. Elles ne prennent conscience de ce handicap que lorsque leurs propres enfants les sollicitent pour leurs leçons et devoirs. » Quant aux hommes analphabètes, ils ont honte d'avouer qu'ils ne savent ni lire ni écrire, mais apprennent à se débrouiller avec les moyens du bord. Tel ce fournisseur d'eau qui met une pierre dans sa poche pour chaque réservoir rempli...
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