Le terme «radicalisation» escamote la vérité
par AJ Caschetta publié pour la premiere fois dans le Le Sun-Sentinel, en lecture libre sur The Midddle East Forum le 21 Janvier, 2016
Adapté par L'Observatoire du moyen Orient le 22/1/2016
Initialement publié sous le titre «The Politics of Radicalisation."
Et revoici encore Orwell-prépare toi à un autre: "Je vous l'avais bien dit" |
Vers la fin de sa trop courte vie, George Orwell en est venu à la conclusion que la société anglaise était devenu décadente et que «la langue anglaise est sur une mauvaise pente." C'était en 1946, plusieurs années avant de présenter au monde la, "novlangue", dans son plus grand roman, "1984".
Il l'avait écrit, dans ce qui est peut-être son plus grand essai, «La politique et la langue anglaise", décrivant la maladie qu'il a observée, et prescrivant le traitement adéquat.
Il l'avait écrit, dans ce qui est peut-être son plus grand essai, «La politique et la langue anglaise", décrivant la maladie qu'il a observée, et prescrivant le traitement adéquat.
La croyance que, «le chaos politique est lié à la dégénérescence de la langue», l'a amené à conclure que la langue était devenue, «laide et inexacte parce que nos pensées sont ineptes [et] que la maladresse de notre langue rend plus facile d'avoir des pensées stupides." Aujourd'hui, les façons dont nous parlons et écrivons à propos de la menace de l'islamisme sont souvent inexactes et débraillées, ce qui rend les «pensées ineptes", presque inévitables. Toute personne impliquée a besoin de l'ordonnance d'Orwell.
L'ère post-onze septembre 2001 abonde en ce que Orwell dénommait , «abus de langage" ("guerre contre le terrorisme», «opérations de contingence à l'étranger"), mais aucun abus n'illustre mieux son accusation que le cliché médiatique du musulman modéré devenant spontanément un islamiste: il s'est radicalisé, il est devenu radicalisé. Cet euphémisme, (une construction passive dans la terminologie grammaticale) ne veut presque rien dire. Orwell appelle cela « un membre artificiel verbal", c'est à dire, un artifice pour, "s'épargner la peine de choisir des verbes et les noms appropriés." C'est devenu l'explication par défaut pour un phénomène que peu veulent décortiquer.
L'ère post-Onze Septembre 2001
est en proie à ce que Orwell appelait «abus de langage." |
«La politique et la langue anglaise" donne des conseils pour stopper le glissement de la langue vers la décadence, soit 6 règles qui "couvriront la plupart des cas." Chaque règle souligne le zèle de son auteur pour la prose claire et précise, libre de tout cliché, et dénoué de jargon. Parmi les obstacles à la clarté, la construction passive est considérée tellement grave, que la règle n°4 est, "N'utilisez jamais le passif là où il est possible d'utiliser l'actif."
Une structure active met en exergue l'agent de l'activité signifiée par le verbe: "Tom a lancé le ballon." Alors qu'une structure passive met l'accent sur l'objet qui a subi l'action: "La balle a été lancée par Tom." Elle permet aussi d’escamoter totalement l'agent: «La balle a été lancée." En plus d'être imprécise, les constructions passives permettent aux auteurs de dissimuler des faits importants: qui a lancé le ballon? Ou, rapporté à la prose politique: qui a largué la bombe? Qui a donné l'ordre? Qui a planifié l'attaque?
Il y a beaucoup à détester à la fois dans la construction passive "a été radicalisé" et dans le terme «radicalisation», qui vient d'un adjectif (radical), transformé en verbe (radicaliser), puis en un nom. Le terme «s'est-radicalisé», verbe passif réflexif, est encore pire.
Considérons les phrases suivantes, qui pourraient avoir été tirés d'un millier de sources:
- Tamerlan Tsarnaev a été radicalisé au Daghestan. *Attentat du marathon de Boston.
- Sayed Rizwan Farook a été radicalisés par sa femme. *Attentat de la fête de Noël, San Bernardino, USA.
- Le Major Malik Nidal Hasan s'est radicalisé. *Attentat de la base militaire de Fort Hood, USA.
La construction passive dans chacune d'elles brouille la relation entre le sujet (Tsarnaev, Farook, Nidal), et le verbe déjà vague, "radicalisé." Chacune de ces phrases dévie la responsabilité ailleurs, voire l'élude complètement. Elles traitent le «radicalisme», comme une contagion qui infecte son hôte dès le premier contact.
Respecter la Règle n ° 4 de «La Politique et la langue anglaise" pourrait donner lieu aux phrases suivantes:
- Tamerlan Tsarnaev a aiguisé sa haine naissante pour les États-Unis au milieu des islamistes au Daghestan.
- Sayed Rizwan Farook s'est rendu au Pakistan et en Arabie Saoudite, pour trouver une femme qui partage ses vues islamistes.
- Le Major Malik Nidal Hasan a demandé des conseils spirituels et opérationnels au Chef d'Al Qaida dans la Peninsule Arabe, Anwar al-Awlaki.
Ce que Gore Vidal a baptisé, "la théorie populaire dite Fu Manchu, c'est à dire qu'une seule bouffée d'opium suffit pour asservir l'esprit", n'est pas la métaphore appropriée de l'islamisme. L'islamisme est inculqué au fil du temps. Par les enseignants disséminés dans les écoles avec des livres. Par des Imams et des leaders communautaires qui le renforcent dans les mosquées et les centres islamiques. Par certaines communautés qui l'ignorent, et par des familles qui le tolèrent. Le Syndrome du "djihad subit", ne parait soudain qu'aux yeux du monde extérieur.
Orwell a insisté pour que la langue soit toujours utilisée "comme un instrument pour exprimer et non pour dissimuler ou d'empêcher la pensée», mais il a compris que son opinion n'était pas partagée par tout le monde.
La construction "s'est radicalisé" est devenue omniprésente principalement par la répétition irréfléchie, mais pour ceux qui embrouillent délibérément les esprits, cette construction passive en apparence inoffensive fournit un moyen d'éviter de nommer ce qui devient de plus en plus, "Ce-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom". Maajid Nawaz appelle cela "l'effet Voldemort: le refus d'appeler l'islamisme par son nom".
Les responsables politiques et militaires occidentaux de l'antiterrorisme, les américains en premier, et leurs conseillers doivent reconnaître que les djihadistes n’apparaissent ni accidentellement, ni spontanément. Parler et écrire comme s'ils l’étaient, délibérément ou par «la négligence de notre langue," entrave la pensée claire. Et comme Orwell l'a dit, «penser est clairement une première étape nécessaire vers la régénération politique: ainsi la lutte contre le mauvais anglais n'est ni un caprice, ni la préoccupation exclusive des écrivains professionnels"
AJ Caschetta est maître de conférences à l'Institut de technologie de Rochester et membre Shillman-Ginsburg au Forum du Moyen-Orient
.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire