Un rapport publié cette semaine dans le journal pro-Hezbollah Al-Akhbar, a affirmé que les Turcs ont expulsé un certain nombre d'officiers de renseignement saoudiens, en raison de différends entre les deux pays sur la politique envers la Syrie et l'Egypte. Quelle que soit la véracité du rapport (l'imagination d'Al-Akhbar peut être fertile), une phrase dans l'article, provenant d'une source turque anonyme, réussit à décrire de manière concise et précise sur les fondamentaux stratégiques qui gouvernent actuellement les evenements au Moyen-Orient.
Voici cette phrase : "Les responsables turcs estiment que l'Arabie Saoudite, avec la Jordanie et les Emirats Arabes Unis, travaillent de façon stratégique contre les intérêts des deux blocs régionaux différents: d'un côté le Hezbollah, la Syrie, l'Iran et l'Irak et de l'autre côté la Turquie, le Qatar, le Hamas et les Frères musulmans".
Si c'est que croient les responsables turcs, alors ils ont raison.Il existe de facto aujourd'hui trois alliances concurrentes dans le Moyen-Orient.Fait intéressant, pour la première fois depuis un demi-siècle, aucun de ces grands blocs n'est clairement aligné sur les Etats-Unis et l'Occident.
Regardons ces trois blocs un peu plus en détail.
-Le premier bloc, mené par l'Iran, comprend Assad en Syrie et le Hezbollah au Liban. C'est le plus et le mieux connu.L'ambition iranienne, clamée haut et fort, est de remplacer les Etats-Unis comme puissance dominante dans la région du Golfe si riche en énergie, pour construire une alliance contigue d'États pro-iraniens qui s'étend de la frontière iranienne à la Méditerranée et dans le Levant, et donc à apparaître comme la force la plus puissante au Moyen-Orient. L'Iran est détérminé à acquérir une capacité nucléaire et d'assurer ce processus contre des mesures qui l'en empêcheraient.
La nature chiite de l'Iran signifie que ce bloc a un déficit de légitimité en dehors de la population minoritaire arabe chiite, déficit qui est probablement insurmontable.En raison des convictions idéologiques et aussi pour combler cette lacune, l'Iran se prononce bruyamment pour la destruction d'Israël.L'Iran le veut sincèrement, mais la République Islamique espère aussi séduire les masses arabes sunnites à travers cet objectif qui est aussi chèr à leur cœur.
-Le second bloc identifié par les «responsables turcs" est celui de "la Turquie, le Qatar, le Hamas et les Frères musulmans". Il s'agit du bloc islamiste sunnite qui, il y a un an, dans la foulée des soulèvements populaires, appelé au debut, à tort - le «printemps arabe» ; semblait sur une marche triomphale dans la région. Mais 2013 a été une année terrible pour les Frères musulmans.Ils ont perdu le pouvoir en Egypte et en Tunisie.Le nouvel émir du Qatar semble préférer une position régionale plus modeste.Et en Syrie, c'est al-Qaïda et les unités d'obédience salafiste, qui forment désormais le pilier le plus actif dans une insurrection confuse, qui montre des signes d'implosion par luttes intestines.L'éclipse de ce bloc à son tour, attire l'attention sur le troisième alliance mentionnée dans la phrase citée.
-C'est le bloc est composé de l'Arabie saoudite, la Jordanie et les pays du Conseil de coopération du Golfe à l'exclusion du Qatar.C'est le bloc des monarchies conservatrices arabes sunnites.Les monarchies, intactes, ont survécu à la récente vague d'agitation populaire qui a balayé le monde arabe, qui a décimé les régimes militaires laîques au lieu de frapper ces monarchies. Mais le lien entre le Qatar et les frères Musulmans a rendu furieuse l'Arabie saoudite. Elle se mit à le faire reflouer.Le soutien saoudien pour le coup d'état de Sisi en Egypte a été un element majeur de la réussite de celui-ci.Les Saoudiens sont également terrifiés par la perspective d'un Iran nucléaire et la domination qui en résulterait dans le Golfe et dans la région. Le soutien saoudien pour les alliés en Syrie, au Liban, à Bahreïn, au Yémen et ailleurs et la recherche de nouveaux alliés doivent être considérées dans cette optique.Ainsi, les Saoudiens sont engagés dans une guerre politique sur deux fronts et ils ont une conscience aiguë de l'importance des enjeux.
Les Iraniens et leurs alliés ont une vision lucide des obstacles à leurs ambitions, comme indiqué par l'apparition de cet article dans Al-Akhbar.Les Turcs et les Frères musulmans comprennent bien, eux aussi, la nature du jeu politique pour l'hégémonie régionale.Leur désarroi actuel reflète leurs récents déboires dans cette lutte.
Israël, a lui aussi, une conscience aiguë de la menace iranienne, c'est un puissant allié non déclaré , au bloc dirigé par l'Arabie Saoudite.
Tout le monde comprend la nature des enjeux. Tout lle monde, jusqu'à ce qu'on regarde à l'extérieur de la région...
Les cercles dirigeants aussi bien aux États-Unis qu'en Europe occidentale ne parviennent pas du tout à saisir ni la nature ni la dynamique de cette concurrence.Là, leurs esprits sont pleins d'espoirs iréels d'une nouvelle ère représentée en Iran par le Président Rouhani. Leur point de fixation reste l'insoluble conflit israélo-palestinien qui est actuelement au point mort. Il y flotte aussi la nostalgie du «printemps arabe» et l'espoir d'une nouvelle vague à venir de protestations soi disantes pro-démocratie, ou alors tout simplement la fatigue et le désir de se désengager.En général - ce sont la confusion et la faiblesse d'esprit.
Contre les Frères Musulmans, les Saoudiens s'en sortent très bien jusque là, avec de l'argent et de l'influence politique. Mais les monarchies sont dans une position beaucoup plus faible contre les Iraniens qui savent comment utiliser efficacement la force armée , comme ils le prouvent en Syrie. Les Saoudiens peuvent faire de la politique, mais ils ont un piètre bilan de l'organisation des insurrections.À l'époque où ils n'etaient q'une partie d'une grande alliance pro-américaine dans la région, cela n'avait pas beaucoup d'importance. C'est l'Oncle Sam qui s'est occupé des vrais durs.Mais l'oncle Sam n 'est plus tout à fait présent.
Cela laisse Israël, l'allié de facto , comme le seul élément qui a à la fois la volonté et la capacité de déployer efficacement la force contre les Iraniens et leurs alliés, comme elle l'a démontré au moins cinq fois dans le ciel de la Syrie l'année dernière.Ce qui signifie que si les Etats-Unis et l'Occident sont vraiment déterminés à se désengager, alors le décor est planté pour un combat à trois blocs pour la couronne régionale.Cette lutte et son issue définiront le Moyen-Orient de l'ère qui suivra la longue Pax Americana qui régna de 1973 jusqu'à à peu prés maintenant.
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