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vendredi 14 août 2015

Erdogan perd les élections alors il attaque les kurdes





Dernièrement , le gouvernement turc a non seulement attaqué pour la première fois des positions de l'Etat Islamique, il a , ouvert une base aérienne aux USA pour bombarder l'Etat Islamique ( alias Daech, alias ISIS)  , une autre première.

De prime abord rien de moins naturel, la Turquie, alliée depuis toujours aux USA, fait partie de l'OTAN et l'Etat Islamique est particulièrement barbare.

Mais c'est la première fois que le régime islamiste d'Erdogan permet à des non-musulmans d'attaquer des musulmans à partir de son sol, brisant là une règle inscrite dans le Coran et la sharia. Cela semble aussi un abandon des jihadistes qu'Erdogan aide, pas si discrètement que cela au point que la frontière avec la Syrie porte le sobriquet de "Autoroute du Jihad Express". Et l'aviation turque a attaqué bien plus souvent et fort les kurdes du PKK en Iraq alors qu'un processus de paix était engagé depuis deux ans.

Que se passe t-il ?

Je vous invite à lire les articles (ici ici et ici)  de Claire Berlinski, docteur en Relations Internationales, spécialisée dans les affaires de la Turquie et turcophone, membre éminent du Manhattan Institute , un think-tank conservateur, qui m'ont aidés à comprendre la politique si complexe et différente des normes occidentales.

Erdogan a perdu la majorité parlementaire aux élections de juin, il a besoin soit de s'allier avec un autre parti soit de provoquer des législatives anticipées.

Voici les principaux partis en présence :

AKP (Parti de la Justice et du Développement ) est le parti islamiste chauvin au pouvoir, son électorat se divise en turcs et kurdes conservateurs et dévots, des islamistes peu nombreux et d'autres électeurs qui acceptent l'islamisation, la corruption endémique, la mégalomanie néo-ottomane d'Erdogan et la perte d'une partie de la démocratie et en échange de stabilité, de paix et de prospérité.  Le parti cherche a changer la constitution pour transformer le pays en une dictature élective, toute critique du parti deviendrait trahison. Le gouvernement a déjà commencé à faire sauter les verrous de la séparation des pouvoirs.

Voici l’évaluation du psychisme d'Erdogan de Claire Berlinski:
Il s'agit de la première défaite d'Erdogan depuis 2002. Mégalomaniaque - il s'est fait construire un Palais de plus de 600 millions de $ - et narcissique - il se croit la volonté populaire. Lorsqu'il rit, les sénateurs rient aux éclats, lorsqu'il pleure les petits enfants meurent dans les rues...Il a mis beaucoup de temps pour s'exprimer publiquement après la défaite sans doute parce qu'il avait été sonné de constater que la volonté du peuple diffère de la sienne. Mais il n'est pas bête. Il a beaucoup de ressources et est loin d'être fini.

CHP-Parti Populaire Républicain : c'est le principal parti d'opposition Kemaliste , officiellement Social  Démocrate en réalité un parti fossilisé étatiste inepte. Opposé à l'islamisation du pays,  Il a 132 sièges

MHP -Parti du Mouvement Nationaliste: Le parti chauviniste turc. S'oppose rageusement à tout compromis avec les Kurdes. Ses députés ont du mal à ne pas en venir aux mains au parlement avec les représentants kurdes. Beaucoup de Chauvinistes en rangers et quelques intellectuels bien discrets pendant la campagne. Son score à augmenté, 80 sièges.

HDP-Parti Démocratique Populaire : nouveau parti avec un vernis de gauche composé quasi exclusivement de candidats Kurdes indépendants qui se sont rassemblés pour passer la barre des 10% des voix. Son jeune leader Selahattin Demirtaş a changé publiquement d'idéologie et de style grâce à des conseillers en communication. Jusqu'à peu il était très proche du PKK, une guérilla terroriste Maoiste Kurde avec des tendances au nettoyage ethnique et aux attentats suicide, ce qui n'est pas le gage d'un esprit libéral et démocratique...
Avec 80 sièges c'est ce parti qui a empêché le CHP d'obtenir la majorité parlementaire.

Selon l'analyse fine de  Erik Meyersson ce sont les Kurdes conservateurs et musulmans dévots qui ont quitté l'AKP pour le HDP. De fait, dans les provinces du Sud Est,  l'AKP était lié et allié avec des clans Kurdes. Une partie d'entre eux a quitté le AKP pour le HDP. Ce parti est en réalité Kurde, conservateur et anti-liberal malgré le récent vernis libéral et Gay-Friendly. Autrement dit ce n'est pas le HDP qui apportera une bouffée libérale en Turquie...le vrai parti libéral et démocrate (LDP)  n'a obtenu que... 0.06% des voix

Restent deux acteurs puissants mais absents de la scène parlementaire:

Fetullah Gulen : imam islamiste, richissime, propriétaire de nombreuses écoles privées aux USA et en Turquie , il a formé les élites turques ("l'Etat Profond")  : Généraux, Juges, Policiers,  Journalistes et Politiciens. Jusqu'à il y a quelques années il était l'associé d'Erdogan et a participé au travail de sape contre les verrous institutionnels qui les empêchaient d'avancer vers un état islamique autoritaire. Ce sont "ses" policiers, juges et journalistes qui sont visés par la récente répression du régime autoritaire d'Erdogan. Qu'on ne se trompe pas , ce ne sont pas des démocrates qui vont en prison mais des concurrents qui ont participé au muselage de la presse.


L'Armée : la grande muette. Des fuites laissent entrevoir le mécontentement des officiers devant le chaos et la perte du contrôle des provinces kurdes de l'est et du du sud-est.

Contexte démographique

Les Turcs ethniques représentent 83% de la population , les Kurdes , 14%. Mais la fertilité des femmes turques est basse (1.88 enfants par femme)  alors qu'il est le double chez les Kurdes ( 4.07 enfants par  femme) les amènera à 50% de la population en quelques décennies

Taux de fertilité par province
source David P Goldman Asia Times
Il y a une autre minorité, religieuse celle la, les Alevis, musulmans non-sunnites rattachés au chiisme. Ils ne sont pas reconnus par la Turquie, ils seraient 15 à 20 millions. Le discours sunnite et islamiste d'Erdogan ne peut que les rendre hostiles à l'AKP, d'autant qu'ils se sentent proches des Alaouites menacés par les Jihadistes qui sont officieusement aidés par Erdogan (le "Jihad Express").

Economie: après l'embellie de nouveaux orages à l'horizon
La chute du prix du pétrole a ravivé une économie au bord d'une crise économique, mais la guerre contre les Kurdes et la vague de violence effrayent les investisseurs étrangers. La dette de la Turquie est de 403 Milliards de dollars et elle devra rembourser 160 milliards dans les 12 mois. La Lire a perdu 30% contre le dollar en un an. La bourse chute

Le président Erdogan dispose de 45 jours pour désigner le premier ministre qui lui même dispose de 90 jours pour former un gouvernement. En cas d'impossibilité il y aura des législatives anticipées.

Et maintenant ?

Erdogan et l'AKP ne sont pas des démocrates , pour s'en convaincre il suffit d'examiner leur comportement récent :
Le 17 Décembre 2013, la brigade de lutte contre les crimes financiers et les revenus illicites a inculpé 47 personnes, dont un certain nombre de responsables de haut niveau. Les fils du ministre de l'Intérieur, le ministre de l'Economie, et le ministre de l'Urbanisme ont été impliqués, tout comme le propre fils de M. Erdoğan, Bilal. Les trois ministres ont démissionné.

Les médias turcs rapportait les rumeurs d'une, imminente, seconde vague d'arrestations, faisant allusion à l'implication de l'autre fils d'Erdoğan, Burak, et des affiliés d'Al-Qaïda en Arabie. Le Parti Justice et Développement, ou AKP, a réagi comme tout parti "normal" dans une démocratie "saine et dynamique": il a arrêté les procureurs. Il a purgé la police, limogé des dizaines de chefs de police, et a arrêté les journalistes qui ont rapporté l'histoire.


La Paix ou le Chaos ? Le Chaos !

C'est Burhan Kuzu, le conseiller d'Erdogan qui à tweeté : ""Oui, l'élection est terminée. Les gens ont décidé. J'ai dit :  «Soit la paix, soit le chaos», et les gens ont élu le chaos. Qu'il vous apporte le bonheur ".

Erdogan a choisi de faire arrêter les membres du HDP qu'il verrait bien dissous et de provoquer des élections anticipées qu'il gagnerait cette fois, avec plus de 400 sièges, nombre indispensable pour devenir le dictateur élu voire "le Sultan" d'un nouvel Empire Ottoman. Pour cela il lui fallait augmenter la fièvre nationaliste des Turcs et criminaliser les élus Kurdes.

Il a profité d'un attentat du PKK pour lancer des frappes sur les bases de ce dernier en les masquant derrière la feuille de vigne de 3 frappes contre l'Etat Islamique ( ou Daech) .  Il pourra accuser le HDP de haute trahison, retirer l'immunité parlementaire à ses élus, son leader en tête, les jeter en prison et rallier des électeurs du MHP.

La trêve avec le PKK est morte pour garder le Palais. Le "Jihad express", la base arrière des djihadistes qu'est la Turquie continuera derrière quelques manœuvres destinées aux naïfs occidentaux qui sont nombreux...

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