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vendredi 29 mars 2013

Le Turquie entre rêves de Grandeur et réalité

Hillel Fradkin and Lewis Libby analysent les choix d'Erdogan, le premier ministre islamiste de la Turquie dans World Affairs. Je vous ai adapté l'introduction :

«Une grande nation, une grande puissance», c'est l'objectif que s'est fixé lors de son quatrième Congrès général, l'AKP , le parti islamiste du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan.

L'AKP a proclamé cet objectif ambitieux pour 2023, le centième anniversaire de la fondation de la République turque. Le Congrès a célébré le leadership de M. Erdogan et l'a réélu comme président du parti. Avec le soutien de son parti, et grâce à la future constitution qui créera un puissant «régime présidentiel», Erdogan s'attend à présider les célébrations de cet anniversaire en tant que président d'une Turquie transformée, une Turquie qui domine le Moyen-Orient.

Mais quelle forme prendra cet âge d'or d'Erdogan? La Turquie aura t-elle une influence modératrice sur l'islam politique, en particulier sur les partis des Frères musulmans qui dominent aujourd'hui le nouveau Moyen-Orient? Erdogan transformera t-il le pays en une démocratie libérale islamique unique, qui va réconcilier le monde musulman et l'Occident? Ou préside-t-il, comme le craint un nombre croissant d'observateurs , la transformation vers une Turquie islamiste qui mettra le régime "néo-ottoman" en opposition avec l'Occident ?

Ceux qui s'inquiètent de trouver un tel résultat trouvent un mauvais présage dans son discours - qui a été bien rémarqué en Turquie, mais pas ailleurs, au récent congrès de son parti. Là, Erdogan a exhorté la jeunesse de la Turquie à avoir en ligne de mire non seulement 2023, mais aussi 2071. C'est une date qui n'est pas susceptible d'êvoquer grand chose pour les Occidentaux, mais elle l'est pour beaucoup de Turcs.

2071 marquera mille ans depuis la bataille de Manzikert. Là, les Turcs seldjoukides-une tribu originaire de l'Asie centrale-a vaincu de manière décisive la première puissance chrétienne de cette ère, l'Empire Byzantin, et de ce fait a étonné le monde médiéval. À la fin de la bataille, le chef seldjoukide a posé le pied sur la gorge de l'empereur chrétien pour signifier l'humiliation de la chrétienté. La victoire seldjoukide a déclenché  une série d'événements qui ont permis aux Turcs seldjoukides de saisir les terres de la Turquie moderne et de créer un empire qui s'étendra sur une grande partie de la Palestine, l'Irak, la Syrie et l'Iran.

En évoquant Manzikert, Erdogan a rappelé aux Turcs d'aujourd'hui les gloires de leurs ancêtres agressifs et guerriers  qui ont entamé la conquête de pays non musulmans et en route, ont repoussé les chiites tant détestés d'une grande partie du Moyen-Orient. Manzikert n'est donc pas l'image d'un Etat libéral pacifique et prospère qui inspirera d'autres par son exemple de tolérance, de vertu et de bonne volonté.

Elle indique plutôt que dans le cadre de sa vision de la puissance et de la gloire turque, Erdogan cherche à renverser le vaste héritage de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur , en 1923, de la Turquie moderne.
Le récent Congrès AKP visant à célébrer Erdogan comme un nouveau genre de chef de file puissant, maintenant premier ministre, plus tard président de la Turquie. Un chef prêt à abandonner les structures étatiques laïques d'Atatürk et l'orientation pro-occid.

Le guerrier Ataturk a mis en garde contre l'attrait des victoires militaires, le politicien Erdogan les invoque.
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En effet, dès Octobre 2009, son ministre des Affaires étrangères a explicitement invoqué l'ancienne grandeur impériale de la Turquie : «Comme au seizième siècle, à l'avenement des Balkans ottomans, nous allons à nouveau avec la Turquie, faire des Balkans, du Caucase et du Moyen-Orient le centre de la politique mondiale. Tel est l'objectif de la politique étrangère de la Turquie et nous y parviendrons. "
Le chemin vers le statut de grande puissance est semé d'embûches

Les auteurs rappellent qu'environ la moitié des Kurdes ne sont pas réligieux, que leur croissance est supérieure à celle des turcs et que dans 20 ans ils deviendront majoritaires en Turquie. Ils ne partageront pas la "solidarité islamique" invoquée par Erdogan.

La politique etrangère d'Erdogan butte sur des contradictions internes : le rapprochement avec la Syrie alawite et l'Iran Shiite, l'alliance avec les ennemis d'Israël comme le Hamas et les frères musulmans ont fait croître des concurrents pour le leadership régional. Initialement il a défendu Bashar Al Assad et lui a proposé une sortie honorable par une réforme démocratique, mais ce dernier lui a tourné le dos. Aujourd'hui l'artillerie turque et syrienne échangent sporadiquement des obus et un avion turc a été abbatu par la Syrie.


Le principal obstacle à ses grandioses ambitions est l'Iran et ses alliés. L'ayant finalement compris Erdogan a changé de cap en 2012 en excluant ce pays de sa vision :

"Pendant la marche historique de notre sainte nation, le Parti AKP affirme la naissance d'une puissance globale et la mission d'un nouvel ordre mondial. C'est le centenaire de notre sortie du Moyen-Orient. . . quoi que nous ayons perdu entre 1911 et 1923, quelque soient les territoires dont nous nous sommes retirés, entre 2011 et 2023 nous allons à nouveau réjoindre nos frères de ces terres."
Dans sa lutte contre le tyran de Damas, Erdogan s'est heurté à une alliance puissante: l'Iran, le Hezbollah, l'Iraq et la Russie. Alors qu'il minimisait le rôle de l'Occident, maintenant il fait appel à la solidarité de l'OTAN; sur son sol les batteries Patriot américaines sont servies par des soldats américains, allemands et néerlandais. Il a dû même chercher l'aide des Kurdes iraquiens, et c'est l'Arabie Saoudite qui est au premier plan pour financer et armer les rebelles syriens.

Il n'a pas atteint le statut de médiateur entre la modernité et les réalités du Moyen Orient, il n'a eu aucune influence libérale -aucune influence tout court- sur le "printemps arabe" et le monde occidental s'en est rendu compte.
Le monde arabe, quant à lui, ne voit pas avec anthousiasme le retour des ottomans et l'Egypte est une concurrente naturelle pour le leadership de l'islam sunnite.

Un réseau d'influence de type "Néo-Ottoman" n'est pas en vue. De plus la croissance economique est menacée par l'éclatement inéluctable d'une bulle financière.

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